Licenciement pour faute grave pour une conversation privée sur un groupe Facebook ?
La Cour de cassation, dans une décision très attendue, qualifie de conversation privée, les propos tenus par un salarié sur son compte Facebook dès lors que celui-ci est sécurisé.
Les propos tenus par un salarié sur un réseau social – en l’espèce, Facebook – sont-ils privés ou publics ?
L’enjeu de la qualification est important : si les propos ont été diffusés sur un espace privé, ils ne peuvent pas être invoqués par l’employeur à l’appui d’un licenciement disciplinaire car ils sont couverts par le secret des correspondances ; si au contraire ils sont publics, ils peuvent justifier une sanction s’ils excèdent les limites de la liberté d’expression du salarié.
C’est cette question qui était soumise à la chambre sociale de la Cour de cassation.
L’adhésion à un groupe Facebook au nom offensant
Un salarié a été licencié pour avoir adhéré à un groupe Facebook intitulé « extermination des directrices chieuses ».
Cette adhésion a été constatée par huissier. L’employeur a considéré que les propos « injurieux et offensants » du salarié à son encontre étaient constitutifs d’une faute grave et a prononcé son licenciement immédiat.
À noter : L’arrêt ne précise pas les conditions dans lesquelles l’employeur a eu accès aux informations diffusées par le salarié sur Facebook. Il semblerait qu’il ait seulement fait constater l’appartenance du salarié au groupe litigieux.
Les critères de la confidentialité : un groupe fermé et restreint
La cour d’appel de Paris, saisie du litige, a estimé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse (CA Paris 3-12-2015 n° 13/01716). Pour les juges, la seule existence de propos injurieux sur le réseau social ne suffit pas, en soi, à justifier le licenciement d’un salarié : il incombe en effet à l’employeur de démontrer le caractère public des échanges, preuve non rapportée en l’espèce.
La Cour de cassation approuve sans réserves le raisonnement de la cour d’appel qui a, selon elle, exactement qualifié les faits qu’elle a constatés : la conversation étant de nature privée, elle était couverte par le secret des correspondances. Les propos reprochés au salarié ne constituaient donc ni une faute grave, ni une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La chambre sociale se prononce ainsi pour la première fois, à notre connaissance, sur le caractère privé ou public d’une conversation sur un réseau social.
Deux critères essentiels sont mis en avant par les juges pour qualifier les propos du salarié : d’une part, ils ont été tenus au sein d’un groupe fermé, accessible uniquement à des personnes agréées par l’administrateur dudit groupe ; d’autre part, ils ont été diffusés auprès d’un nombre limité de personnes (14 en l’espèce).
La Cour de cassation ne pose donc aucune présomption de caractère public ou privé des réseaux sociaux.
C’est l’utilisateur – en l’espèce le salarié – qui, en paramétrant son compte, lui confère un caractère ouvert ou fermé. S’il adopte un profil privé et fait preuve de vigilance, en ne s’exprimant qu’auprès d’une audience restreinte, l’employeur ne pourra pas utiliser ses propos contre lui.
Si en revanche le salarié ouvre son profil, ou s’il s’exprime au sein de groupes ouverts ou comptant un grand nombre de participants, susceptibles de « republier » ses propos, ceux-ci peuvent lui être reprochés en cas d’abus.
À noter : Dans la même veine, la première chambre civile de la Cour de cassation, se prononçant à propos de la qualification d’injures publiques, a considéré que le profil Facebook constitue un espace privé s’il est paramétré pour n’être accessible qu’à un nombre restreint de personnes (Cass. 1e civ. 10-4-2013 n° 11-19.530 FS-PBI : RJS 6/13 n° 429).
En cas de non-conformité persistante en 2022, les agents de l’inspection du travail auraient alors la tâche de sanctionner les entreprises sur la base d’une obligation de résultat et non plus de moyen. En pratique, cela signifierait que le moindre écart salarial injustifié donnerait lieu à une pénalité financière dont le montant maximal serait, comme aujourd’hui, de 1% de la masse salariale mais pourrait être réduit pour les entreprises dotées d’un accord ou d’un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle.
Des questions restent en suspens…
L’arrêt ne répond pas à toutes les questions soulevées par l’exercice par les salariés de leur liberté d’expression sur les réseaux sociaux.
S’agissant du « support » de diffusion sur Facebook, peut-on considérer comme une « conversation de nature privée » les propos tenus par le salarié non pas au sein d’un groupe fermé, mais sur son mur ?
Sur l’audience des propos, à partir de quel seuil considère-t-on que le groupe, même fermé, compte un nombre trop élevé de participants pour que les propos qui y sont tenus ne remplissent plus le critère de confidentialité ? En France, un utilisateur moyen de Facebook compte 177 « amis » …
Si le salarié s’est exprimé dans un cadre confidentiel, mais que ses propos sont republiés sur des espaces publics, considère-t-on toujours qu’ils sont couverts par le secret des correspondances ?
Enfin, le groupe auquel avait en l’espèce adhéré le salarié était, semble-t-il, composé de personnes extérieures à l’entreprise. La conversation aurait-elle pu être rattachable à la vie professionnelle, et donc susceptible de justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire ou de recevoir la qualification de délit d’injure non publique, si elle s’était tenue au sein d’un groupe composé de salariés de l’entreprise ?